Au XXème siècle, les problématiques de l’art pictural sont nombreuses et variées. Les artistes se livrent à des expérimentations destinées à repousser toutes les limites de l’art et à trouver des réponses à des questions de plus en plus poussées. Le geste prend une place primordiale dans le processus créatif et donne naissance à des mouvement entièrement dédiés à sa maîtrise. L’Expressionnisme abstrait, premier courant artistique américain, prône « l’expression » véritable des idées à travers le geste, la matière et la couleur. Les toiles ne sont plus une oeuvre issu d’un travail continu, mais la trace d’un moment, d’une humeur, d’une inspiration épisodique. Willem De Kooning, par la touche caractéristique, peignait si violemment ses toiles, sous le coup d’une impulsion, que la plupart d’entre elles étaient criblées de trous. Il consacre toute une série d’oeuvre à la représentation de femmes, les Women.
Woman I de Willem De Kooning est un exemple frappant de la vision des femmes dans son art. Cette femme, ressemblant plus à une statue archaïque, une déesse-mère imposante, est violemment traitée à grands coups de pinceau. Cette violence dans le geste traduit non seulement l’importance de l’instant, du moment de la peinture dans l’art de De Kooning, mais également son « agacement » face aux femmes, en réalité lié à son sentiment d’impuissance.
La femme est ici représentée déformée, comme en mouvement. Elle est imposante, effrayante, dérangeante. De Kooning renvoie avec cette oeuvre à tout l’imaginaire de la femme de pouvoir, depuis les déesses de la fertilité Paléolithiques jusqu’aux femmes-objet de culte des publicités. Rien à voir cependant avec les représentation traditionnelles des Vénus et autres déesses.
Ici, le peintre entretient une relation ambiguë avec sa Woman, mêlant admiration et effroi, amour et terreur. La femme est une figure de pouvoir, créatrice de vie, de sentiments et de tourments. Elle est à l’origine de tout, et demeure celle qu’il faut à la fois vénérer et craindre.
La femme-mère dans toute sa puissance, peinte par des traits brutaux, violents, qui lui donnent un aspect de cannibale, qui exprime la vision de De Kooning plus qu’elle ne la montre. Ce type de représentation renvoie à l’aspect le plus primaire, le plus archaïque de l’idée de la femme : elle est matrice. Elle est un terreau fertile à toutes les frustrations, tous les espoirs, toutes les craintes. Elle est l’élément originel, violent et impitoyable dans sa puissance.
Cette femme imposante est sujet de nombreuses spéculations quant à sa réelle signification, sa réelle portée ; néanmoins, elle demeure indiscutablement l’image complexée et féroce de la femme-mère et donne la vie et par conséquent la mort, fusion des deux pulsions primaires, liée, selon De Kooning, à la condition humaine même.
— S. Hame